Traduire le Liqouté Halakhot de Rabbi Nathan n’est pas seulement un exercice de fidélité linguistique. C’est une quête. Celle de rendre audible, dans une autre langue, la voix d’un homme qui écrivait pour éveiller les âmes. Ce n’est pas une tâche neutre. C’est une responsabilité. Car si la traduction est trop sèche, elle mutile. Si elle est trop poétique, elle trahit. Il faut donc choisir un style qui ne soit ni banal, ni affecté ; un style au service du sens, qui élève sans s’envoler, qui transmet sans trahir.
Phrasé et ponctuation : respirer avec le texte
L’hébreu de Rabbi Nathan est long, sinueux, méditatif. Il fonctionne souvent comme une respiration intérieure, faite d’élans, de retours, de silences implicites. Pour en préserver la dynamique, nous avons pris le parti d’un phrasé ample, mais structuré : des phrases longues, oui, mais jamais étouffantes. Des virgules qui rythment la pensée, des deux-points qui relancent, des points qui posent une idée sans la figer.
Prenons cet extrait :
וצריך להאמין שיש בכל יהודי נקודה טובה, ואף אם נפל מאוד מאוד, עדיין יש בו טוב גנוז שיכול להתעורר ממנו לעבוד את השם
Traduit littéralement :
« Il faut croire qu’il y a en chaque Juif un bon point, et même s’il est tombé très très bas, il y a encore en lui un bien caché qui peut se réveiller pour servir Hachem. »
Dans notre traduction, nous écrivons :
« Il faut croire qu’il existe en chaque Juif une étincelle de bien. Même s’il est tombé très bas, ce bien reste caché en lui, prêt à s’éveiller pour le service d’Hachem. »
Ce choix privilégie une ponctuation qui soutient le souffle du lecteur, et introduit des mots comme « étincelle » ou « prêt à s’éveiller », qui conservent le sens tout en restituant l’élan intérieur du texte.
Choix des termes : ni jargon, ni affadissement
L’un des pièges d’une traduction spirituelle est le vocabulaire : faut-il employer un langage technique, au risque d’exclure ? Ou un langage courant, au risque de diluer ?
Nous avons choisi une voie médiane : garder certains termes hébraïques intraduisibles (comme qavana, da‘at, malkhout), tout en les expliquant en notes. À l’inverse, chaque fois qu’un mot français permet de préserver la densité du propos sans le trahir, nous le préférons à un hébraïsme artificiel.
Exemple : le mot or (lumière) est central dans l’œuvre. Mais il ne signifie pas seulement « lumière visible » ; il renvoie à l’énergie divine, à la vitalité spirituelle. Dans le passage suivant :
וצריך להמשיך עליו אור החסד בבחינת אור הפנים
Nous traduisons :
« Il faut attirer sur lui la lumière de la bonté — la lumière du visage. »
Ici, nous gardons le mot « lumière », mais nous ajoutons une note pour préciser qu’il s’agit d’une expression tirée des Pirqé Avot et du Zohar, où le visage lumineux est signe d’amour divin.
Un ton méditatif : transmettre l’élévation
Le ton de Rabbi Nathan est celui d’un homme qui parle à l’âme, pas à l’intellect seulement. Il faut que cela se sente en français. Nous avons donc évité le style académique, les formules froides ou analytiques. À la place, un style sobre, mais habité ; une langue qui invite à la réflexion, à l’écoute intérieure.
Par exemple :
« Chaque matin, l’homme se relève de la nuit comme on sort d’un exil. Il faut alors se laver les mains, non seulement par pureté, mais pour appeler à soi la connaissance. »
Cette phrase n’est pas une citation directe, mais une transposition fidèle d’un passage de Liqouté Halakhot (Ora‘h ‘Haïm, Netilat Yadayim). Le style choisi vise à transmettre l’idée mystique (la nuit comme exil, la connaissance comme lumière) dans une langue accessible et profonde.
Conserver la structure mystique sans l’imposer
Le style doit aussi respecter la structure du texte originel. Lorsque Rabbi Nathan développe une idée en cercles concentriques, ou revient plusieurs fois à une même image (la mer, la lumière, le réveil, le roi), nous faisons en sorte que cela transparaisse sans devenir répétitif.
Exemple :
« Il faut réveiller laRoyauté. Mais la Royauté dort, tant que l’homme ne la nomme pas. Il la nomme par ses mots, par sa prière, par sa fidélité. »
Ce passage (inspiré de plusieurs extraits du texte sur Malkhout) garde l’image centrale tout en reformulant légèrement pour éviter la lourdeur d’un calque trop rigide.
La voix du traducteur : discrète, mais présente
Enfin, il faut dire un mot sur ce qu’aucun traducteur ne peut éviter : sa propre voix. Elle est là, bien sûr. Mais elle s’efface devant celle de Rabbi Nathan. Elle n’est là que pour ouvrir l’espace de lecture, pas pour l’occuper. Elle cherche, non à séduire, mais à transmettre. Non à briller, mais à servir.
C’est cette humilité stylistique — alliée à une exigence de justesse — qui donne à cette traduction son ton singulier. Elle ne prétend pas être la seule possible, mais elle aspire à être fidèle dans le fond, élevée dans la forme. Puisse Hachem faire que j’ai réussi à atteindre cet objectif.